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Autour de Money on the silk Road d'Helen Wang

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Revue numismatique Autour de Money on the Silk Road d'Helen Wang [Helen Wang, Money on the Silk Road : The Evidence from Eastern Central Asia to c. AD 800, including a catalogue of the coins collected by Sir Aurel Stein] Helen Wang, Money on the Silk Road : The Evidence from Eastern Central Asia to c. AD 800, including a catalogue of the coins collected by Sir Aurel Stein François Thierry
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RésuméCe compte rendu élargi situe l'ouvrage d'Helen Wang dans le contexte actuel de l'intérêt grandissant pour l'étude de la « Routede la Soie ». Le livre est un ouvrage marquant qui offre une synthèse du développement de l'archéologie en Asie CentraleOrientale et la publication soignée (mais trop peu illustrée) des 4000 monnaies de la collection assemblée dans la région parAurel Stein et conservée au British Museum. L'auteur examine ici en détail l'étude remarquable des émissions locales demonnaie et de la circulation présentée dans ce livre qui constitue une contribution essentielle à l'histoire monétaire de la régiondu IIe siècle av. J.-C. au VIIIe siècle ap. J.-C.

AbstractIn the present ever-increasing interest for Silk Road studies, briefly summarised and assessed here, Helen Wang's bookrepresents a milestone. It offers a synthesis of the development of archaeology in Eastern Centra Asia and the carefulpublication of the 4,000 coins assembled there by Sir Aurel Stein and preserved in the British Museum (regrettably with verylimited illustration). In this review-article, the author examines in detail the remarkable outline of coin issues and coin circulationin the area presented in the book which is an essential contribution to the monetary history of the area from the 2nd century BCto the 8th century AD.

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Thierry François. Autour de Money on the Silk Road d'Helen Wang [Helen Wang, Money on the Silk Road : The Evidence fromEastern Central Asia to c. AD 800, including a catalogue of the coins collected by Sir Aurel Stein]. In: Revue numismatique, 6e

série - Tome 163, année 2007 pp. 315-330.

doi : 10.3406/numi.2007.2833

http://www.persee.fr/doc/numi_0484-8942_2007_num_6_163_2833

Document généré le 06/01/2016

François Thierry*

Autour de Money on the Silk Road d'Helen Wang

Résumé. - Ce compte rendu élargi situe l'ouvrage d'Helen Wang dans le contexte actuel de l'intérêt grandissant pour l'étude de la « Route de la Soie ». Le livre est un ouvrage marquant qui offre une synthèse du développement de l'archéologie en Asie Centrale Orientale et la publication soignée (mais trop peu illustrée) des 4000 monnaies de la collection assemblée dans la région par Aurel Stein et conservée au British Museum. L'auteur examine ici en détail l'étude remarquable des émissions locales de monnaie et de la circulation présentée dans ce livre qui constitue une contribution essentielle à l'histoire monétaire de la région du IIe siècle av. J.-C. au VIIL siècle ap. J.-C. Summary. - In the present ever-increasing interest for Silk Road studies, briefly summarised and assessed here, Helen Wang's book represents a milestone. It offers a synthesis of the development of archaeology in Eastern Centra Asia and the careful publication of the 4,000 coins assembled there by Sir Aurel Stein and preserved in the British Museum (regrettably with very limited illustration). In this review-article, the author examines in detail the remarkable outline of coin issues and coin circulation in the area presented in the book which is an essential contribution to the monetary history of the area from the 2nd century BC to the 8th century AD.

Helen Wang, Money on the Silk Road : The Evidence from Eastern Central Asia to c. AD 800, including a catalogue of the coins collected by Sir Aurel Stein, Londres, The British Museum Press, 2004. - 308 p., 8 planches.

La publication de cet important ouvrage s'inscrit dans un contexte bien particulier caractérisé par trois éléments, l'engouement de plus en plus grand pour tout ce qui touche aux « Routes de la Soie », le rééquilibrage des études au bénéfice de la partie orientale des dites « routes » et enfin l'aboutissement d'une recherche personnelle de l'auteur.

Helen Wang, conservateur des monnaies d'Extrême-Orient au Département des Monnaies et Médailles du British Museum, nous a en effet déjà donné plusieurs travaux de grande qualité sur la numismatique de la Chine occidentale (Xinjiang) et sur la geste des archéologues britanniques au Turkestan chinois, et principalement sur l'œuvre d' Aurel Stein, comme Money on the Eastern Silk Road in the pre-Islamic period, The Stein Collection of coins from Chinese Central Asia, Handbook to the Stein Collection in the U. K., etc. ', et cet ouvra-

* Conservateur général au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale de France, 58 rue de Richelieu 75002 Paris.

1 Helen Wang, Money on the Eastern Silk Road in the pre-Islamic period, dans B. Kluge et Β. Weibf.r (éd.), Actes du XII Congrès International de Numismatique, Berlin, 2000, II, p. 1 350- 1364 ; The Stein Collection of coins from Chinese Central Asia, dans Studies in Silk Road coins

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ge, qui est la version revue et augmentée de sa thèse PhD, vient donc comme une forme de synthèse avec cette particularité de nous fournir également une étude extrêmement précise de la documentation récoltée par le célèbre savant et par ceux qui l'ont précédé et suivi.

Le contexte culturel actuel est propice à l'accueil que recevra ce travail de grande qualité. Depuis une douzaine d'années - et les conséquences de l'ouverture et du développement de la Chine n'y sont sans doute pas étrangères - le thème de « la Route de la Soie », au delà des programmes de l'UNESCO, est devenu incontournable dans le domaine de l'histoire, de l'archéologie, de l'ethnologie, de la diplomatique, de la musique, etc. : chacun a pu constater la multiplication des colloques2, des expositions3, des revues4, des livres, des sites-

and culture, Katsumi Tanabe, Joe Cribb et Helen Wang (éd.), Kamakura, 1997, p. 187-199 ; Handbook to the Stein Collection in the U.K., Londres, 1999 (British Museum Occasional Papers 129) ; Catalogue of the Collections of Sir Auren Stein in the Library of the Hungarian Academy of Sciences, Budapest 2002 ; Sir Aurel Stein, Proceedings of the British Museum Study Day, 23 March 2002, Londres, 2004. On lira aussi avec intérêt son Sir Aurel Stein dans The Times, Londres, 2002.

2 II ne saurait ici être question de faire la liste de tous les colloques ou symposium consacrés aux « Routes de la Soie » depuis 1994, mais certains méritent une mention particulière soit par qu'ils abordent le champ de la numismatique ou de l'histoire économique, soit parce qu'y ont été présentées des contributions qui portent sur des espaces géographiques touchant aux franges de ce qu'on entend habituellement par « Routes de la Soie » : Kontakte zwischen Iran, Byzanz und des Steppe in 6.-7. Jh., Rome 25-28 octobre 1993 ; La Persia e l'Asia Centrale da Alessandro al Xsecolo, Rome 9-12 novembre 1994 ; La Sérinde, terre d'échanges : Art, religions, commerce du Ier au Xe siècle, Paris 13-15 février 1995 ; Coins, Art, and Chronology, Essays on the pre- Islamic History of the Indo-Iranian Borderlands, Vienne 11-13 avril 1 996 ; La Bactriane au carrefour des routes et des civilisations de l'Asie centrale, Termez 1997 ; Afghanistan, Ancien carrefour entre l'Est et l'Ouest, Lattes 5-7 mai 2003 ; Sogdians in China, Pékin 22-25 avril 2003 ; First International Silk Road Symposium, Tiflis 25-27 juin 2003 ; Soaring over the Silk Road : Alexander the Great - His Dreams and Real Image, and Eastward Shift of Hellenic Culture, Nara 5-7 décembre 2003 ; Sichou zhi lu huobi yanjiu [Études des monnayages de la Route de la Soie], Aksu 9-1 1 juillet 2004 ; Great Silk Road, Culture and Traditions, Past and Present, Tashkent 19-20 octobre 2006 ; Coins and the Culture of the Silk Road, Shanghaï 4-8 décembre 2006.

3 Parmi les très nombreuses expositions, il convient d'en citer certaines, en raison de la grande qualité ou l'originalité de leur catalogue : Traders and Raiders on China's Northern Frontier, Smithsonian Institution Washington 1995/1996, catalogue édité par Jenny F. So et Emma C. Bunker, Washington, 1995 ; Erben der Seidenstrafie-Usbekistan, Linden-Museum Stuttgart, 1995, catalogue édité par Johannes Kalter et Margareta Pavaloi, Stuttgart, 1995 ; Sérinde, Terre de Bouddha, Dix siècles d'art sur le Route de la Soie, Galeries Nationales du Grand Palais, Paris 1995-1996, catalogue édité par Jacques Giès et Monique Cohen, Paris, 1995 ; Weihrauch und Seide, Alte Kulturen an der Seidenstrafie, Kunsthistorisches Museum, Vienne, 1 996, catalogue édité par Wilfried Seifel, Vienne, 1996 ; Archaeological Treasures of the Silk Road in Xinjiang Uygur Autonomus Region, Musée de Shanghaï 1998, catalogue édité par Ma Chengyuan, Shanghaï, 1998 ; L'Asie des steppes d'Alexandre le Grand à Gengis Khan, Musée Guimet, Paris 2000, catalogue édité par Jean-Paul Desroches, Paris, 2000 ; Monks and Merchants, Silk Road Treasures from Northwest China, Gansu-Ningxia 4th-7th centuries, Asian Society Museum, New York, 2001-2002, catalogue édité par Annette Juliano et Judith Lerner, New York, 2001 ; Tian- shan gudao, Dong-Xi feng [L'Ancienne route des Tianshan, Influences d'Orient et d'Occident],

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web, des documentaires, consacrés à tel ou tel aspect des « Routes de la Soie ». Tous ces travaux sont loin d'être inutiles, car la connaissance de l'intensité des anciens liens économiques, religieux, culturels ou politiques entre la Chine et l'Occident est beaucoup moins répandue qu'on ne le pense. Il est révélateur, à cet égard, que l'un des grands sinologues français écrive : « même si l'on perçoit quelques rares échanges s 'opérant indirectement (par la route de la soie) à l'époque romaine, les deux côtés du grand continent n'entrent effectivement en contact qu'à la seconde moitié du XVIe siècle, quand les missions d'évangéli- sation débarquent en Chine »5.

En 1990, au Japon, MM. Hirayama et Tanabe lançaient la revue Silk Road, Art and Archaeology, organe de l'Institute of Silk Road Studies ; puis en 1995, au Japon toujours, apparut le concept de « Silk Roadology »6 avec le Research Center for Silk Roadology qui publie, sous la direction du Pr. Higuchi Takaya- su, le Bulletin of the Research Center for Silk Roadology. En 1991, l'Académie des Sciences Sociales du Xinjiang (Chine) fondait la revue Xiyu yanjiu ^^$MY^t [Études des Régions Occidentales] qui fut éclipsée à partir de 1999 par la revue Ouya xuekan ^M^"F0 [Revue d'Études Euro-Asiatiques] fondée et animée par Yu Taishan. En Allemagne, paraît depuis 1995 Eurasia Anti- qua, Zeitschrift fur Archàologie Eurasiens (Ph. Von Zabern, Mayence), en France, en 1996, sous l'égide de l'Institut Français d'Études sur l'Asie Centrale, paraît le premier numéro des Cahiers d'Asie Centrale.

Je ne discuterai pas ici de la pertinence du concept de Route de la Soie, pertinence sur laquelle il y a beaucoup à dire quand on voit ce que ce syntagme figé peut recouvrir d'un auteur à l'autre, d'une institution à l'autre : des périodes où la Chine n'exportait pas encore de soie7, des réseaux commerciaux portant sur d'autres produits que la soie, des régions pour lesquelles la soie

Musée National d'Histoire de Pékin 2003, catalogue édité par le Musée national et l'Académie des Sciences du Xinjiang, Pékin, 2003 ; The Glory of the Silk Road : Art from Ancient China, Dayton Art Institut 2003, catalogue édité par Li Jian et Valerie Hansen, Dayton, 2003 ; De I 'Indus à l'Oxus, Archéologie de l'Asie centrale, Musée Archéologique Henri Prades, Lattes 2003, catalogue édité par Osmund Bopearachchi, Christian Landes et Christine Sachs, Montpellier, 2003 ; The Silk Road, Trade, Travel, War and Faith, The British Library, Londres 2004, catalogue édité par Susan Whitfield, Londres, 2004.

4 Je n'aborderai que le cas des nouvelles revues ; depuis des dizaines d'années des publications comme le Journal Asiatique, le T'oung pao, Asia Major (Leipzig, puis Londres, Princeton etTaibei, depuis 1923), Acta Orientalia (Budapest, depuis 1951), Central Asiatic Journal (Wiesbaden, depuis 1955), Turcica (Paris, depuis 1969), Cultura Turcica (Ankara, depuis 1969), etc., ont fait une part importante aux études sur l'Asie centrale sans qu'il soit besoin de le mentionner spécialement.

5 François Jullien, Chemin faisant, Connaître la Chine, relancer la philosophie, Réplique à ***, Paris, 2007, p. 33.

6 Quelques années auparavant était déjà apparu le néologisme de « Dunhuangology » pour désigner l'étude des grottes bouddhiques de Dunhuang (Touen-houang).

7 II arrive même au mot « Route de la Soie » d'être utilisé pour des périodes où la Chine en tant qu'État n'existait pas encore.

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n'était pas un produit mais un moyen de paiement ; par ailleurs, ce concept n'a pas ou peu de limites chronologiques et géographiques précises. Il n'en reste pas moins que le terme inventé par le baron von Richthofen, Seidenstrafie, a été largement adopté au début siècle dernier par la plupart des langues européennes, Route de la Soie, Silk Road, Ruta de la Seda, Via délia Séta, Ipekyolu, etc. ; le pluriel est venu plus tard. Ce cmi est nouveau, c'est l'engouement actuel pour ce terme, Sichou zhi lu |$IJiÂd.iʧ, en Chine même, alors que pour la Chine ancienne, ce courant commercial était celui du verre, de l'agate, du corail, « des merveilleux produits des Contrées d'Occident », ou celui des chevaux.

Cette vogue se manifeste par des expositions et des colloques (voir notes 2 et 3), mais aussi par de nombreuses publications : Lin Meicun, Xiyu wenming [La Civilisation des Contrées d'Occident], Pékin, 1995, YuTaishan, Xiyu tong- shi [Histoire des Contrées d'Occident], Zhengzhou, 1996, Yu Taishan, Xiyu wenhua shi [Histoire des cultures des Contrées d'Occident], Pékin, 1996, Lin Meicun, Han TangXiyuyu Zhongguo wenming [Les Contrées d'Occident sous les Han et les Tang et la civilisation chinoise], Pékin, 1998, Cai Hongsheng, Tang dai Jiuxing Hu yu Tujue wenhua [Les Sogdiens à l'époque Tang et la civilisation tiirke], Pékin, 1998, Zhang Zhongshan, Zhongguo Sichou zhi lu huobi [Monnaies de la Route de la Soie en Chine], Lanzhou, 1999, Huo Hongwei et Fan Zhen'an, Luoyang quanzhi [Monographie sur les monnaies de Luoyang], Lanzhou, 1999 (le chapitre VIII, Sichou zhi lu qianbi [Monnaies des Routes de la Soie] est consacré aux découvertes de monnaies byzantines, sassanides, tur- gesh, etc. faites dans la région de Luoyang), Lin Ying, Jin qian zhi lu, congJun- shitandingbao dao Chang' an [Le Voyage des monnaies d'or, de Constantinople à Chang'an], Pékin, 2004, Rong Xinjiang, Alain Arrault et Zhang Zhiqing (éd.), Suteren zai Zhongguo [Les Sogdiens en Chine], Pékin, 2005 * ; il existe même chez certains éditeurs des collections d'ouvrages consacrées aux anciennes relations avec les pays étrangers ou aux Routes de la Soie, comme la série Zhong-Wai jiaotong shiji congkan [Collection d'ouvrages sur les relations entre la Chine et l'étranger] des éditions Zhonghua shuju qui depuis 1999 édite ou réédite des sources anciennes devenues introuvables, ou la série Xiyu wenming tanmi congshu [Collection d'études inédites sur la culture des contrées d'Occident] des éditions Renmin meishu, dirigée par Yu Taishan9. La Revue chinoise de Numismatique Zhongguo qianbi publie de plus en

8 II s'agit de l'édition chinoise des actes du colloque Sogdians in China (voir note 2) qui diffère de l'édition française (Etienne de La Vaissière & Eric Trombert (éd.), Les Sogdiens en Chine, Paris, EFEO, 2005) : plusieurs contributions qui y figurent n'apparaissent pas dans l'édition française, c'est le cas, par exemple, de celle de Yu Taishan consacrée aux mentions de la Sogdiane dans les textes officiels chinois avant les Sui.

9 Monsieur Yu Taishan, dont les compétences sont internationalement reconnues, aurait cependant tout intérêt à être plus sévère dans le choix de ses auteurs ou dans la relecture des textes qu'il édite, car le Jin qian zhi lu de Lin Ying (op. cit.) paru dans sa collection comporte

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plus régulièrement des études sur les monnayages de l'Occident antique ou médiéval dont certaines d'excellente qualité, ainsi que des recensions de trouvailles de monnaies étrangères, généralement byzantines ou sassanides ; la livraison 2001 -IV de cette revue, par exemple, compte cinq articles sur les découvertes de monnaies byzantines en Chine, une étude sur le monnayage de Peroz et une sur des monnaies kouchanes trouvées au nord de l'Afghanistan et dispersées en Chine, un article sur les drahm de Khosro II découverts à Luoyang, un sur la découverte d'un tank arménien de Hetoum au Xinjiang et un sur la découverte d'une monnaie de type kouchan du royaume de Hetian ; la livraison de 2004 de la revue Shaanxi qianbi yanjiu lunwenji (Xi'an) comprend une série de contributions consacrées à la découverte de monnaies sassanides, byzantines et omeyyades au Shaanxi et en Chine, des études sur les monnaies kouchanes ; la totalité du numéro III de l'année 2004 de la revue Xinjiang qianbi est consacrée aux actes du colloque d'Aksu, Sichou zhi lu huobi yanjiu (juillet 2004) : on y trouve des articles de niveau inégal mais qui montrent tout l'intérêt que les numismates chinois portent aux monnayages kouchan, sassanide, byzantin et djagataï. La plupart des revues numismatiques provinciales ont leur spécialiste des monnaies byzantines et sassanides et publient régulièrement des articles d'initiation à ces monnayages ou des comptes rendus de découvertes. Cette abondance de publications est aussi le révélateur des problèmes auxquels se heurtent nos collègues chinois : une absence évidente de bases historiques chez de nombreux auteurs, une information aléatoire en matière archéologique qui a pour conséquence, par exemple, des recollements peu fiables des monnaies sassanides et byzantines par les différents contribu- teurs, une connaissance trop souvent insuffisante des travaux étrangers en raison de l'ignorance des langues étrangères, exception faite pour quelques chercheurs, une impossibilité d'accès aux sources primaires dans leur langue d'origine, et enfin, et de ce fait, une incapacité déjuger de la validité scientifique des quelques ouvrages, articles ou notices de catalogue de vente étrangers (généralement en anglais) auxquels ils peuvent avoir accès.

C'est ainsi que pour les numismates, l'une des sources principales semble être Mitchiner dont les affirmations sans fondement sont prises pour comme parole d'Évangile : ainsi, l'attribution abracadabrante aux Rouran (Juan-juan) de monnaies de bronze, barbares imitations du monnayage kouchan, qui fait encore florès dans les catalogues de vente occidentaux, est devenue une vérité historique pour certains collègues chinois qui ne se penchent pas sur les problèmes d'histoire, de géographie historique et d'anachronisme10.

des erreurs (un tétradrachme de Syracuse donné comme « monnaie romaine en argent », un buste d'Ardeshir donné comme « portrait d'empereur romain », . . .), des approximations, des citations sans références, toutes choses inacceptables pour une publication à vocation scientifique.

10 Michael Mitchiner, Oriental Coins and their Values, The Ancient & Classical World, 600 BC-AD 650, Londres, 1978, p. 442-445.

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Cette effervescence et cet engouement parfois un peu brouillons n'en demeurent pas moins un facteur extrêmement positif qui démontre la soif de connaissance du monde académique chinois pour l'histoire des relations avec les royaumes d'Occident au travers de l'Asie centrale et pour l'histoire de l'Antiquité et du haut Moyen-Âge du monde méditerranéen et l'extraordinaire dynamisme de la recherche en ce domaine : le récent colloque de Shanghaï a été, à cet égard, extrêmement révélateur. C'est aussi d'une certaine manière un des éléments qui contribuent au rééquilibrage vers l'Orient des « Routes de la Soie ».

Si, en Occident, le thème de la Route de la Soie jouit en effet d'une grande vogue, force est de constater qu'il s'opère aussi, depuis quelques années, un rééquilibrage en faveur de la partie orientale de la Route. Ce rééquilibrage n'est pas seulement géographique, avec un intérêt accru pour les sections chinoises des itinéraires et pour la dimension steppique des échanges, il est aussi culturel. La tendance à ne considérer comme dignes d'intérêt que les monnaies byzantines et sassanides trouvées en Chine, en Sogdiane, en Mongolie ou en Sibérie, laisse maintenant une place plus importante à des études sur les monnayages locaux et sur les pratiques commerciales et financières « orientales », qui sont autant de fenêtres sur les mondes sogdien, tïirk, khotanais, koutchéen, chinois, tibétain, etc.

Plusieurs travaux dans ce domaine méritent d'être mentionnés qui pourront être utiles au spécialiste comme à l'amateur : Éric Trombert, Le crédit à Dun- huang : vie matérielle et société en Chine médiévale, Paris, Institut des Hautes Études Chinoises, 1995 ; Eugeny Zeymal, Munzen von der Seidenstrasse, dans Weihrauch und Seide, op. cit., p. 355-380 ; François Thierry, Sur les monnaies tiirgesh, dans Michael Alram et Deborah Ε. Klimburg-Salter (éd.), Coins, Art and Chronology, Essays on the Pre-Islamic History of the Indo-Iranian Borderlands, Vienne, 1999, p. 321-349 ; Hiiseyin Salman, Tiirgisler, Ankara, 1998 (chapitre sur les monnaies, p. 128-134) ; Jonathan Karam Skaff, Sasanian and Arab-sasa- nian silver coins from Turfan, Their Relationship to International Trade and Local Economy, Asia Major, XI-2, 1998, p. 67-115 ; François Thierry, Entre Iran et Chine, la circulation monétaire en Sérinde du Ier au IXe siècle, dans Rencontres de l'École du Louvre, La Sérinde, Terre d'échanges, Paris, 2000, p. 121-147 ; Helen Wang, Money on the Eastern Silk Road in the pre-Islamic period, dans Actes du XIIe Congrès International de Numismatique, op. cit. ; Larisa Baratova, Alttiirkische Munzen Mittelasiens aus dem 6.-10. Jh. n. Chr., Archaologische Mitteilungen aus Iran und Turan, XXXI, 1999, Berlin, p. 219-292 ; Etienne de La Vaissière, Histoire des marchands sogdiens, Paris, Institut des Hautes Études Chinoises, 2002 ; Jonathan Karam Skaff, The Sogdian trade diaspora in East Turkestan during the seventh and eighth centuries, JESHO, XLVI/4 2003, p. 475- 524 ; Michael Alram, The History of the Silk Road as reflected in coins, dans Parthia and beyond, Cultural Interconnections in the Classical Period, Papers in Honour of Gennadij A. Kosolenko (= Parthica, VI-2004), p. 47-68 ; François Thierry, La monétarisation de la société tiirke (VT-IXe siècle), Influence chinoise, influence sogdienne, dans Les Sogdiens en Chine, op. cit., p. 397-417 ;

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Osman Sertkaya et Rysbek Alimov, Eski Tiirklerde Para (Gôktùrklerde, Uygur- larda ve Turgislerde), Ankara, 2006. On rappellera aussi que, depuis longtemps, les publications soviétiques, hongroises et turques avaient traditionnellement un tropisme oriental en la matière qui faisait une grande place aux relations Est- Ouest à travers les steppes de l'Asie centrale septentrionale ". Money on the Silk Road est un important témoignage de ce rééquilibrage.

Dans son introduction, Helen Wang insiste ajuste titre sur la particularité de son travail qui dépasse la seule numismatique et sur les difficultés d'une approche multidisciplinaire dans un domaine où les sources sont relativement rares et se trouvent être, souvent, toujours les mêmes. L'ouvrage se découpe en quatre parties, une rapide présentation du sujet et de son approche méthodologique, une étude numismatique, puis une étude des documents écrits et enfin le catalogue des monnaies de la collection Stein. Naturellement, l'a. a ajouté une introduction, des cartes, une bibliographie et des planches. Disons tout de suite, mais l'a. n'en est en rien responsable, qu'on reste un peu surpris qu'un ouvrage d'une telle importance ne comporte que huit planches dont quatre sont des reprises d'illustrations d'ouvrages antérieurs12. L'a. nous dit, par exemple que la collection Stein comprend 92 monnaies Da Li yuanbao "Jk.Mj~ÙHS. des Tang (p. 42), mais l'a. n'a eu la possibilité d'en illustrer que deux (pi. IV, nos 52- 53). De même, alors que les monnaies sino-kharoshthi sont l'un des points forts de la collection Stein, on ne trouve que cinq pièces illustrées (pi. IV, nlls 43-47). Accorder seulement huit planches pour un travail de cette importance et de cette qualité est pour le moins surprenant.

Dans la première partie, l'a. aborde avec finesse la question récurrente de la toponymie : quel nom donner à la région qui est l'objet de son étude ? Mais aussi quelles sont les frontières géographiques de cet objet ? Tous les topo- nymes, « Routes de la Soie », « Xinjiang », « Turkestan chinois », « Turkestan oriental », « Sérinde », « Xiyu », etc., étant connotes, soit historiquement soit idéologiquement, l'a. adopte le terme « géographique » d'Asie centrale orientale, Eastern Central Asia. Pour neutre qu'il soit, ce toponyme ne résout pas les problèmes de ses propres limites géographiques, en particulier sur ses franges septentrionales et orientales, mais il est, à vrai dire, le moins mauvais. J'utilise, pour la période concernée, les termes chinois de Xiyu [?ΐΊ^, « Contrées d'Occident » pour l'actuel Xinjiang, de Hexi ?R]W, « l'Ouest du fleuve », pour le corridor du Gansu, et de Chine, ou Chine propre, pour la Chine pro-

1 1 II faut signaler la parution, dans la collection « Çin Kaynaklannda Tiirkler » [Les Turks dans les sources chinoises], de l'excellente traduction turque de la monographie sur les Xiongnu du Hanshu : Ayçe Onat, Sema Orsoy et Konuralp Ercilasun, Han hanedanhgi tarihi, bôlùm 94A/B Hsiung-nu (Hun) monograjïsi, Ankara, 2004. Dans cette traduction, les savants turcs ont, contrairement à leurs collègues européens et américains, tenu compte des indications et des notes du texte chinois : ils donnent donc les transcriptions correctes des titres et des noms personnels des souverains et princes xiongnu.

12 Dong Qingxuan et Jiang Qixiang, Xinjiang qianbi, Urumçi/Hongkong, 1991, Sir Aurel Stein, Serindia, 5 vol., Oxford, 1921 et Sir Aurel Stein, Innermost India, 4 vol., Oxford, 1928.

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prement dite, sachant que les deux premiers de ces toponymes doivent être abandonnés à partir des Tang.

L'a. précise qu'elle va confronter les travaux et découvertes de Stein avec les dernières avancées de l'archéologie dans la région et pour ce faire, elle

présente les quatre phases du développement de l'archéologie d'Asie centrale orientale (p. 4-8). Dans un premier temps, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les archéologues des pays riches comme Stein, Pelliot, Griinwedel, von Lecoq, Mannerheim, Otani, etc., se livrent à une compétition pour la conquête scientifique des cultures locales ; certes ces expéditions débouchent sur des publications scientifiques mais leur tendance à se transformer en pillage systématique provoque une réaction chinoise, surtout dans les milieux intellectuels. La seconde phase, celle des fouilles sino-étrangères est plus restreinte, puisqu'elle se réduit essentiellement aux expéditions sino-germano-suédoises de Sven Hedin principalement financées par la Lufthansa '3. C'est à cette époque que débute la naissance d'une archéologie chinoise de l'Asie centrale orientale qui constitue la troisième phase et dont la figure marquante reste Huang Wenbi l4. Cette phase caractérisée par la mise à l'écart des archéologues occidentaux, se poursuit après 1949 jusqu'aux années 1990 l5. S'ouvre alors la phase actuelle qui voit réapparaître dans des conditions complètement nouvelles des chantiers mixtes associant savants chinois et étrangers, comme les fouilles franco-chinoises de Karadong et Keriya, les fouilles sino-japonaises de Loulan et Niya, ou le programme sino-japonais, appuyé par l'UNESCO, de Jiaohe (Qodjo/ Tourfan).

C'est dans ce long terme archéologique que s'insère l'étude de ce qui, dans cette région, a servi de monnaie, pièces chinoises, monnaies d'or et d'argent16,

13 On sait maintenant que si le bailleur officiel était bien au départ la Lufthansa, le principal instigateur en était le gouvernement allemand, y compris celui du III· Reich, qui avait assigné à Hedin une mission d'espionnage.

14 Les éditions Wenwu de Pékin ont publié un recueil des principaux articles de Huang Wenbi : Huang Lie, Huang Wenbi lishi kaogu lunji [Recueil d'articles d'histoire et d'archéologie de Huang Wenbi], Pékin, 1989.

15 On trouve dans un fort volume de 796 pages publié en 1983, un forme de bilan de cette période particulière : Équipe archéologique de l'Académie des Sciences Sociales du Xinjiang, Xinjiang kaogu sanshi nian [Trente années d'archéologie au Xinjiang], Urumçi, 1983 (on trouvera de la page 466 à la page 499 plusieurs articles de Xia Nai sur la numismatique).

16 Je me dois de rectifier l'affirmation de l'auteur qui écrit « Such mutually exclusive approaches have led to serious errors, such as [...] Thierry's (1993) proposal that Sasanian silver coins were used as a means of storing wealth, but not as currency in Eastern Central Asia. . . » (p. 15), alors que dans l'article qu'elle cite (Sur les monnaies sassanides trouvées en Chine, Res Orientales, V, p. 89-139), j'écris : « Ces découvertes [...] montrent bien que l'usage des monnaies sassanides était relativement courant dans le royaume [Qodjo], du moins du IVL au VIL siècle et confirment ce que disent les sources chinoises [...]. L'usage fiscal de la monnaie d'argent est relevé pour le royaume de Koutcha et pour la Perse dans les mêmes termes. L'usage de la monnaie sassanide lie la Perse à Gaochang en une longue chaîne matérialisée par la découverte, sur cette seule route qui passe par Karashar (Yanqi) et Koutcha, de drahm sassanides »

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grains et textiles. L'a. présente les différents types qu'elle divise en trois catégories, les monnaies chinoises et de tradition chinoise, les monnaies de tradition occidentale et les monnaies locales.

La collection Stein comprenait de nombreuses monnaies chinoises dont les plus anciennes remontent au début des Han (2 banliang). Les monnaies les plus nombreuses sont les wnzhu des Han de l'Ouest mais surtout des Han de l'Est (p. 24-28). L'a. fait la recension des différentes découvertes de Stein (Lop-nor, Loulan, Rawak, Yotkan et Khotan). Comme les wuzhu collectés par Pelliot, ces pièces sont généralement usées et rognées, à l'exception notable des 21 1 wuzhu en parfait état, découverts avec de nombreuses pointes de flèches entre Loulan et les ruines d'un camp chinois, et qui étaient probablement tombés d'une caravane militaire qui approvisionnait le camp (p. 25-26). Les monnaies de Wang Mang sont relativement peu fréquentes et ne comprennent que des monnaies rondes (daquan, xiaoquan, huoquan et buquan) ; la période suivante, celle de la division de la Chine, est peu représentée dans la mesure où la région échappe aux pouvoirs chinois qui sont bien incapables de fournir l'économie locale en moyens de paiement. L'a. montre, en s'appuyant sur l'archéologie chinoise moderne, que les dépôts monétaires qui peuvent être datés de cette époque sont majoritairement composés de monnaies des Han de l'Est (p. 28-29) qui ont donc circulé beaucoup plus longtemps qu'en Chine.

Aurel Stein a découvert plusieurs centaines_de monnaies des Tang, kaiyuan tongbao Hf-JTGiiltïf, Qian Yuan zhongbao ^7CHÏf, Da Li^yuanbao et Jian Zhong tongbao ^ΕΦϊΙΙΪΙ , monnaies au caractères yuan JC et monnaies au caractère zhong ψ, dans presque tous les endroits où il a fouillé (p. 29-32) l7.

(p. 1 19). De même, dans un travail postérieur que l'a. cite abondamment (Entre Iran et Chine, la circulation monétaire en Sérinde du Ier au IXe siècle, dans Rencontres de l 'École du Louvre, La Sérinde, Terre d'échanges, Paris 2000, p. 121-147), je consacre trois pages à l'usage « courant et massif» des drahm sassanides dans les royaumes de Sérinde (p. 126-128).

17 À propos de ces monnayages, l'a. écrit « Jiang Qixiang (1990(1) : 10-11) and Thierry (1997a : 161, n. 48) have suggested that the crescent mark on the reverse of many Tang coins found throughout Eastern Central Asia may be an indicator of local production, "a local characteristic of the Anxi protectorate". However, this and similar marks are found on many coins unearthed in Central China and are not uniquely characteristic of Anxi » (p. 31). C'est là m'attribuer une opinion tellement farfelue qu'il me faut rectifier. L'a. a sans doute lu mon texte un peu vite car la note 48 fait explicitement référence à un seul type de Qian Yuan zhongbao, les « large coins where the diameter exceeds 28 mm », à propos desquel je dis « Among the coins of this type in the British Museum, acquired by Stein or given by the Secretary of State for India, a relatively high number have a small crescent moon under the hole on the reverse ; this characteristic is very unusual on these coins, therefore it seems that we should consider this mark as a local characteristic of the mint of the Anxi Protectorate » (On the Tang coins collected by Pelliot in Chinese Turkestan (1906-1909), dans Studies in Silk Road coins and culture, op. cit., p. 152, n. 48). Je dois dire que je n'ai pas plus trouvé cette affirmation chez Jiang Qixiang à la référence citée ; il dit simplement « il y a quelques kaiyuan tongbao avec un crochet à gauche [au caractère yuan], il y en a avec croissant et marque d'ongle au revers » (Jiang Qixiang, Xinjiang gudai qianbi de faxian yu yanjiu (1), Zhoushan qianbi, 1990-1, p. 6-1 1, p. 10 ; même texte avec le même titre dans Xu Haisheng (éd.), Xinjiang gudai minzu wenhua lunji, Urumçi, 1990, p. 183-215).

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L'a. analyse d'abord les monnaies des deux premiers types qu'elle considère comme classiquement chinois, alors que les quatre autres sont spécifiques au Protectorat d'Anxi. Les découvertes de monnaies kaiyuan et Qian Yuan les plus significatives ont eu lieu sur le limes de Dunhuang et dans l'oasis de Tourfan à Yarkhoto, ce qui, comme l'a. l'indique, montre parfaitement la progression de la reconquête chinoise des Xiyu.

Les monnayages de tradition occidentale sont de deux types principaux, les bronzes kouchans et leurs dérivés et les drahm sassanides, auxquels on ajoutera les imitations byzantines (p. 33-36). La collection Stein comprenait des monnaies parthes et scythes et indo-scythes qui n'ont pas d'origine certaine et que l'a. écarte ajuste titre de son analyse 18. De même, l'a. écarte les deux monnaies romaines achetées chez un « marchand de monnaies douteux », un Constantin II d'Antioche et un Constance II d'Alexandrie ; ces deux ateliers se trouvant aux deux principales extrémités occidentales de la Route, il aurait évidemment été tentant d'inclure les deux pièces parmi les trouvailles locales. En revanche, elle se penche avec plus d'attention sur les bronzes kouchans (une pièce de l'émission cachemirienne de Wima Takhto au chameau et au taureau, 3 tétradrachmes de Wima Kadphisès, 17 drachmes et 7 demi drachmes de Kanishka I des ateliers du Cachemire) collectés par Stein dans la région de Khotan ou sur le site de Yoktan. La découverte récente en fouille de deux monnaies des rois kouchans à Loulan et près d'Endere donne aux découvertes de Stein, bien qu'elles n'aient pas été faites in situ, une importance historique certaine, renforcée par les sources historiques et le monnayage local.

La collection comprenait enfin trois imitations de solidus byzantin qui ont toutes été découvertes dans la bouche de cadavres de la nécropole d'Astana. L'a. donne une liste des découvertes de monnaies byzantines en « central China » (p. 34), mais elle y inclut les monnaies trouvées dans le corridor du Gansu et en Mongolie Intérieure. C'est là où la question de la toponymie

1 8 L'ouverture de la Chine a pour conséquence le rétablissement des circuits commerciaux entre le Xinjiang et la vallée de l'Indus. L'abondance actuelle des monnaies kouchanes et indo- scythes sur le marché numismatique chinois n'est en rien la conséquence de découverte massive de monnaies kouchanes au Xinjiang contrairement à ce que certains commerçants tentent de le faire croire : dans leur article Quelques points sur la découverte de monnaies kouchanes à Xian- yang au Shaanxi, Zhou Yanling et Lin Wenjun précisaient : « En août 2004, un lot de monnaies de la Route de la Soie arriva à Xianyang au Shaanxi, en provenance du Xinjiang ; le nombre des monnaies s'élevait à plus de 1200 pièces et d'après ce qu'on a compris, ce lot de monnaies venait de marchands de monnaies pakistanais qui les avaient introduites dans notre pays » (Zhou Yanling et Lin Wenjun, Guishuang qianbi zai Shaanxi Xianyang de faxian ji dian renshi, Shaanxi qianbi yanjiu lunwenji, 2004- V, p. 1 19-123. J'ai personnellement interrogé, en 2005 et 2006, certains marchands de Pékin qui affirmaient que les monnaies kouchanes qu'ils vendaient avaient été trouvées au Xinjiang, mais en insistant, ils ont tous fini par reconnaître que ces monnaies « venaient » du Xinjiang mais provenaient du Pakistan. C'est pourquoi il convient de prendre avec quelques doutes l'affirmation qu'on trouve sur certains sites web selon laquelle les monnaies qu'ils exposent ont été découvertes au Xinjiang.

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revient au premier plan. En ne faisant pas de différence entre Hexi et Chine proprement dite, l'a. s'expose, en la matière à une perte d'information. On sait que le Gansu, l'ancien Hexi, jouissait d'une tolérance particulière pour la circulation des espèces d'or et d'argent 19. De même, la Mongolie est ici placée dans la Chine centrale, alors qu'elle est explicitement placée dans YEastern Central Asia dans le chapitre 7.

Ce qui est paradoxalement tout à fait intéressant, c'est la quasi-absence de drahm sassanides dans la collection Stein : les trois seuls exemplaires dont l'origine soit absolument certaine proviennent de la nécropole d'Astana, aucun n'a été découvert dans les régions principalement explorées par le savant britannique, c'est-à-dire la région de Khotan et la route méridionale, ce qui confirme ma conclusion que ces monnaies circulaient principalement, voire exclusivement, sur la route centrale, le long des oasis du sud des Tianshan jusqu'à Dunhuang, et de là jusqu'à Xi'an et Luoyang20. À ce propos, bien que je n'aie nullement ici l'intention d'établir la liste des découvertes de monnaies byzantines et sassanides faites en République Populaire de Chine depuis 1993 et 1994, il faut rectifier un point dans le décompte de 1993. Les données

concernant le dépôt de Simagou (canton de Yichuan, Luoyang, Henan) dont je disposais alors étaient fragmentaires et manifestement erronées21 : en 1995, Yu Qian et Huo Hongwei publièrent, en effet, une étude plus précise de cette trouvaille qui comportait en fait 315 drahm dont 314 de Peroz (44 du type II et 270 du type III) et un de Kawad22. Il est évident que cet ensemble très cohérent n'a pas la même signification que l'ensemble à l'éventail chronologique très ouvert qui semblait apparaître à la lumière des premières informations.

L'a. aborde ensuite les monnayages locaux, émissions sino-kharoshthi du royaume de Khotan, émissions locales de Khotan, monnaies officielles du protectorat d'Anxi et monnayages de type chinois. Les monnaies bilingues sino-

19 Voir le texte du Suishu, « Dans les commanderies du Hexi, on utilisait les monnaies d'or et d'argent des pays d'Occident, et cela n'était pas interdit par les fonctionnaires » (Suishu, XXIV, 691, cité par F. Thierry, C. Morrisson, Sur les monnaies byzantines trouvées en Chine, RN 1994, p. 109-145, p. 130 ; voir aussi M. Alram, Coins and the Silk Road, dans Monks and Merchants, Silk Road Treasures from Northwest China, op. cit., p. 271-291). On lira avec profit l'excellente étude d'Eric Trombert sur le rôle de conservatoire de la culture chinoise (et donc de sa culture monétaire) joué par le Hexi durant de la période troublée des Seize Royaumes des Cinq Barbares (304-439) : Éric Trombert, Dunhuang avant les manuscrits, Conservation, diffusion et confiscation du savoir dans la Chine médiévale, Études Chinoises, XXIV, 2005, p. 1 1-55.

20 F. Thierry, Sur les monnaies sassanides. . ., op. cit., p. 98. Pour une liste plus récente, voir Kang Liushuo, Zhongguo jingnei chutu faxian de Bosi Sashan yinbi [Les monnaies d'argent sassanides de Perse découvertes sur le territoire de la Chine], Xinjiang qianbi, 2004-III, p. 63-77.

21 Dépôt de Simagou : « environ 200 monnaies [...] la plupart de Peroz, avec quelques Khosro I et Khosro II », F. Thierry, Sur les monnaies sassanides..., op. cit., p. 96.

22 Yu Qian et Huo Hongwei, Luoyang chutu Bosi yinbi tansuo [Étude des monnaies d'argent sassanides trouvées à Luoyang], Zhongguo qianbi, 1995-1, p. 13-16 ; voir aussi Huo Hongwei et Fan Zhen'an, Luoyang quanzhi, op. cit., p. 157-162.

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kharoshthi ont été émises par les rois de Khotan à l'époque de l'influence kou- chane était prédominante dans la région entre ca 30-150 comme l'avait démontré Joe Cribb il y a une vingtaine d'années23. Les monnaies locales de plomb émises dans la même région posaient encore de nombreux problèmes que l'a., en suivant Cribb, permet de surmonter de manière convaincante (p. 38-39). Elle présente ensuite les monnaies du royaume de Qiuci lujc& (Koutcha) qui portent une inscription en deux parties considérée comme écrite en koutchéen (tokharien B) et, généralement, une inscription en chinois, wuzhu fll/fc. Les lectures successives de l'élément « koutchéen » le plus complexe n'étant guère admissibles, j'avais émis l'hypothèse que cette inscription pouvait ne pas être du koutchéen mais du pehlevi, cependant ma conclusion était, à vrai dire, peu satisfaisante car elle avait pour but, de manière un peu forcée, de retrouver la forme GYÇ pour Qîucî24. L'a. reprend cette hypothèse de départ mais parvient à une lecture autrement plus convaincante, ABD, « excellent » (p. 40). La signification de la seconde partie de l'inscription qui a la forme d'un O, reste encore un mystère. La collection Stein comprend trois de ces monnaies qui ne portent que l'inscription dite koutchéenne (p. 240, IA-XV, al 6, al 7, al 8) et qui constituent le type II de ma classification25 : il est donc bien évident qu'à une période, probablement entre 304 et 439, le royaume de Qiuci s'est clairement détaché de la tutelle chinoise et l'a manifesté dans son monnayage en faisant disparaître les caractères chinois. On pourra ajouter, à propos de Qiuci, la découverte récente d'une monnaie inconnue à ce jour, portant l'inscription chinoise Ci quan neihua l&^I^Hfc que Li Yinbing développe en [Qiu]ci quan neihua, ce qui signifierait « monnaie palatiale de Qiuci » 26 ; le style de la calligraphie est extrêmement proche des « six quan » de Wang Mang dont les plus connues sont les daquan y^vJH et les xiaoquan 7JNM. Si (je dis bien si) l'on admet cette interprétation, cela montrerait que le royaume de Qiuci avait une tradition de monnayage autonome depuis l'instauration du protectorat Han.

L'auteur présente ensuite des monnaies plus connues et qui ont fait l'objet de nombreuses études approfondies, les monnaies Gaochang jili rhHïÎî^'J de la dynastie Qu de Gaochang {ca 620-640), les émissions officielles du protectorat, Da Liyuanbao (766-779) etJian Zhong tongbao (780-783), les monnaies locales au caractère yuan et au caractère zhong, et enfin les monnaies de Sulu qaghan Turgesh (716-737) (p. 41-43).

23 Joe Cribb, The Sino-Kharosthi Coins of Khotan (\),NC 1984, p. 128-152, (2), NC 1985, p. 136-149.

24 F. Thierry, Catalogue des monnaies chinoises, II, Paris, 2003, p. 100. 25 F. Thierry, Catalogue des monnaies chinoises, op. cit., p. 99-103. 26 Li Yinbing, Xinjiang Luopuxian faxian Ci quan neihua tongqian ji zhangfang chuan qian-

qian [Une monnaie de bronze Ci quan neihua et une monnaie de plomb à trou rectangulaire découvertes à Luopuxian au Xinjiang], Zhongguo qianhi, 2003-11, p. 39 ; version abrégé de Li Yinbing, Guquan shiyi liang ce [Deux types de monnaies sorties de l'ombre], Xinjiang qianbi, 2002-1, p. 11-12.

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L'ensemble des monnaies collectées par Stein se trouve récapitulé en fin de volume (Catalogue of the Stein Collection of coins from Eastern Central Asia, p. 127-285), dans des tableaux et avec les annotations archéologiques de Stein, mais sans illustrations. Il me semble qu'un effort financier aurait été vraiment nécessaire car le descriptif de bien des monnaies laisse le lecteur sur sa faim, et une dizaine de planches supplémentaires n'aurait pas été superflue.

Les chapitres 7 à 12 constituent la partie la plus importante de cet ouvrage et le rendent maintenant incontournable à qui veut étudier l'histoire monétaire, financière et économique des régions de l'Asie centrale orientale allant des Pamir à la Mongolie et au Gansu entre le IIe siècle av. J.-C. et le VIIIe ap. J.-C. Le travail fourni par l'a. remet à plat l'ensemble des connaissances jusqu'ici dispersées, lacunaires ou fragmentaires publiées auparavant ; elle étudie avec précision et méthode les documents de première main qui ont été découverts au Xinjiang, au Gansu et en Mongolie Intérieure, qu'il s'agisse des fiches de bois chinoises, des documents kharoshti, des papiers chinois, ou des documents tokhariens, khotanais et tibétains. Sinisante de formation, l'a. a eu l'intelligence de s'entourer d'une équipe conséquente de spécialistes pour les langues anciennes qu'elle ne maîtrisait pas : elle a choisi les meilleurs, Harry Falk, Richard Salomon, Ursula Sims- Williams, Oktor Skjaervo, Hiroshi Kumamoto, Takeuchi Tsuguhito et Sam van Schaik, et c'est aussi ce qui donne toute sa force et sa qualité à son travail.

Elle aborde d'abord l'étude des fiches de bois de Juyan, Dunhuang, Loulan et Niya. Ce sont celles qui ont été découvertes sur les sites militaires Han de Juyan (act. Ejinqi, près de Etsin gôl, Mongolie Intérieure) dont l'éventail chronologique va de 119 av. J.-C. à 32 ap. J.-C. qui sont les plus riches en informations (p. 47-64). Ce sont des documents administratifs civils et militaires qui fournissent une vision particulièrement vivante de l'économie des zones barbares frontalières de la Chine au nord du Hexi (Gansu). L'a. montre par une analyse extrêmement précise l'importance de la monétarisation des échanges et de la vie quotidienne dans laquelle la majorité des transactions se fait sous forme de pièces de monnaies (qian H ou quart M) ; les quantités mentionnées atteignent des sommes très importantes dépassant les 100 000 wuzhu (p. 48). On apprend que les salaires, évalués en monnaie, sont versés principalement en pièces et, à un moindre degré, en tissus, en grains et en sel ; on peut avoir une idée assez claire des valeurs respectives des tissus et des grains dans leur fonction monétaire, des différentes taxes et des salaires, et même de la valeur des biens et des services (tableau 17).

Ces documents nous apprennent aussi que les officiers du limes étaient autorisés à fondre de la monnaie pour suppléer le manque éventuel de moyens de paiement ; comme ces textes datent de la période qui va de 25 (restauration des Han) à 32 ap. J.-C, date de la dernière fiche, on voit que si les Han de l'Est n'ont recommencé à émettre des wuzhu qu'en 40 ap. J.-C, localement, vers ca 30, les autorités avaient déjà relancé une production monétaire. C'est là un point très important pour l'histoire monétaire de la Chine, d'autant que les

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fiches ne disent pas quel type de monnaies les militaires sont autorisés à fondre : continuent-ils à fondre des huoquan Μτίί, ou reprennent-ils la fonte des wuzhu interrompue sous Wang Mang ? Un fiche signale aussi que les officiers sont informés que la fonte de monnaies de nécessité doit être stoppée et qu'on doit remplacer les pièces locales par des wuzhu (p. 49), ce qui tendrait à prouver que les dites monnaies de nécessité ne sont pas des wuzhu, ou tout au moins pas des wuzhu du type traditionnel. L'apport des fiches, plus tardives, de Jiuquan, Dunhuang, Niya et Loulan, semble évidemment un peu maigre après la débauche d'informations que l'a. a su tirer de celles de Juyan.

Les documents kharoshthi viennent principalement du sud du Xinjiang (Niya, Endere, Loulan) et datent d'une période où la Chine s'est retirée de la région (IIIe et IVe siècle ap. J.-C). L'a., une fois de plus, s'attache à analyser les documents originaux, ceux de Stein et ceux des dernières découvertes, et elle en tire des conclusions tout à fait convaincantes (p. 65-74). On sait que cette région est restée sous l'influence culturelle kouchane et indienne, mais on voit que sur le plan économique et financier, on retrouve également les pratiques et les unités du monde indo-kouchan. L'a. discute le sens des termes suvarna sadera (statères d'or), trakhma (drachmes de cuivre), masa, petites pièces de bronze qu'elle considère à juste titre comme étant le nom des monnaies chinoises, et muli, unité dont elle n'arrive pas à déterminer clairement s'il s'agit d'une unité de compte et/ou d'un signe monétaire particulier. On voit donc que la circulation monétaire fondée sur des espèces de cuivre et d'or s'apparente à la circulation kouchane et post-kouchane, complètement étrangère à la circulation de type chinois. Les documents fournissent également une abondante information sur les prix (esclaves, bétail, tissus, grains), le montant des pénalités, l'usage de certains objets comme moyens d'échange (tapis tavastaga, blé, moutons, chameaux, rouleaux de soie, etc.).

Les documents chinois sont principalement ceux de la région de Tourfan (IVe- VIIIe siècles) qui ont été publiés par les Chinois27, et s'il en existait des études partielles et dispersées, aucune étude globale et raisonnée en langue occidentale n'existait à ce jour. L'a. fait donc là œuvre pionnière (p. 75-92) ; elle établit un listing des différents types de documents (contrats de location, de salaires, de métayage, baux, reconnaissances de dettes, listes d'achats, inventaires, pénalités de retard, etc.), les ordonne en fonction des dates, donne les prix et les valeurs avec le mode de paiement : il y a là une mine de renseignements qu'il serait vain de vouloir reproduire ici, je renvoie le lecteur aux tableaux 31, 32, 33, 34 et 38. De cette étude rigoureuse, l'a. aboutit à des

27 Tulufan chutu wenshu, édité et présenté par le Musée du Xinjiang, l'Université de Wuhan et l'Équipe Patrimoniale Nationale, 9 vol., Pékin, 1981-1990. Voir aussi Yamamoto Tatsuro et Ikeda On, Tun-Huang and Turfan documents concerning social and economic history, III : Contracts, Introduction and Texts, Tokyo, 1987. Postérieur à la publication de Money on the Silk Road, on signalera de Jonathan Karam Skaff, Documenting Sogdian society at Turfan in the seventh and eighth centuries : Tang Dynasty census records as a window on cultural distinction and change, dans Les Sogdiens en Chine, op. cit., p. 31 1-341.

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conclusions sur la circulation monétaire dans la région de Gaochang au cours de l'histoire : dans un premier temps (IIIe-début Ve siècle), les principaux moyens de paiement sont la soie et les tapis, ensuite on voit les tapis disparaître au profit des vêtements ; à partir du milieu du VIe siècle, les drahm et les grains tendent à se substituer à la soie et aux grains ; et à partir du milieu du VIIe siècle, on voit progressivement les monnaies chinoises revenir dans la circulation et devenir le principal moyen de paiement au début du VIIIe siècle. Comme le dit l'a., les documents de Koutcha et de Khotan ne font que confirmer les conclusions qu'on peut tirer de ceux de Tourfan.

Les documents tokhariens sur bois et papier (p. 93-94), écrits en brahmi et en langue tokhare, proviennent principalement des expéditions allemandes de Tourfan et françaises de Koutcha. Ce sont des comptabilités de monastères et des correspondances administratives et commerciales et surtout des laissez- passer de caravanes. Ces documents mettent en évidence le rôle de centre économique et culturel qu'était Koutcha. On y trouve deux types de monnaie, les cane, terme qui vient du chinois qian, et des kusane dont l'origine reste inconnue mais qui semblent aussi désigner les pièces bilingues de Qiuci. Les documents des VIIe-VIIIc siècles, chinois et surtout khotanais, également écrit en brahmi mais en langue iranienne (p. 95-106), semblent au premier abord nous replacer dans le monde indien, mais l'a. montre que cette impression n'est que de nature terminologique : les dramma semblent être une unité de compte, les mura (mûri) désignent les monnaies chinoises, tout comme les savi mura, « monnaies de cuivre ». L'utilisation de ces espèces prend une forme typiquement chinoise, puisque le ysa 'ca désigne une ligature de 1 000 pièces. Les documents analysés par l'a. sont des reçus, des bons de dépôts et des billets à ordre, chaupam, mot dans lequel on doit reconnaître le chinois chaopan, et qui sont inspirés par les premières formes de billets à ordre chinois.

L'a. achève son étude des documents économiques de l'Asie centrale orientale avec l'examen des documents tibétains (p. 107-1 13). Pour ce faire, elle dispose de la collection Stein qui comprend plus de 2 000 tablettes de bois et 702 pièces de papier datant de la fin du VIIe siècle au début du IXe siècle. Les principaux lieux de découverte sont la région de Khotan, Tourfan et Miran. L'a. établit avec précision tout ce qui fait l'objet d'un transport caravanier, les taxes et le butin des pillages car c'est ce qui intéresse au premier chef les occupants : cette documentation concerne en effet surtout et avant tout les besoins et les ressources des officH" tibétains. On y trouve donc les quantités d'or, d'argent, de turquoise, de coran, de perles, de grains, mais aussi le nombre de poteries, de tissus, de tapis et d'esclaves. La majeure partie des paiements se fait en grains et en ligatures de dong-tse (du chinois tongzi il^p, « pièces de cuivre »), mais également en srang (Hang FP3) d'argent ou de cuivre (dmar). Comme on l'a vu avec les documents khotanais, il existe une forme primitive de monnaie de papier, les brygyags-byan, qui sont manifestement inspirés des feiqian TfUjl, « monnaies volantes », émises d'abord dans la province voisine du Sichuan sous les Tang. Alors que les sources historiques mettent l'accent sur

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l'usage de l'or, l'argent, le sel et la soie, pour ce qui concerne le grand commerce, les tableaux 52 et 54 montrent que les nombreux paiements de la vie quotidienne se font en nature, principalement en millet, coton et vêtements, plus rarement en vaisselle, vin et bétail.

La dernière partie de l'ouvrage est consacrée à la collection Stein : dans une série de tableaux (p. 128-243), l'a. liste toutes les monnaies rapportées par le savant britannique durant ses trois expéditions en Asie centrale et actuellement conservées au Coins and Medals Department du British Museum. L'ensemble comprend plus de 4 000 monnaies classées selon les publications de Stein, Ancient Khotan, Serindia et Innermost Asia. L'a. donne toutes les données possibles pour les monnaies de la période qu'elle a déterminée. Mais, et encore une fois, l'a. n'est en rien responsable de ce choix, on regrettera le petit nombre de planches, car l'absence d'illustrations est un obstacle à une étude typologique comparative des différentes monnaies ; on regrettera aussi que les éditeurs aient manifestement mesuré à l'a. le nombre de caractères chinois28. Sir Aurel Stein n'était pas un numismate et l'a. nous apporte ici toute sa compétence et sa précision, en particulier dans ses commentaires (p. 245-274). Elle analyse les découvertes site par site, en tire des conclusions toujours convaincantes sur l'occupation de la région, la datation de telle ou telle ruine ou ensemble de ruines ; avec une grande précision, elle s'attache à séparer parmi les monnaies récoltées par Stein celles qui ont été trouvées in situ lors de fouilles, de celles qui furent acquises chez les treasure-seekers, offertes par des officiels locaux, ou achetées près des sites auprès des paysans et des ouvriers des fouilles, ou celles qui le furent aux deux ou trois principaux fournisseurs de Stein, comme Muhammad Said, Mullah Khwadja (Mollah Hodja) ou Badruddin Khan, Yaksakal (« barbe blanche », titre honorifique donné à un chef) des marchands afghans de Khotan ; les pièces sont ainsi bien identifiées comme « allegedly from », « purchased at », « probably from », « obtained at ». Cette recherche rigoureuse permet à l'a. de donner toute leur importance historique aux monnaies et dépôts trouvés en fouilles. L'a. a ajouté plusieurs cartes historiques et géographiques fort utiles pour des régions somme toute assez mal connues, ainsi que des cartes des principaux sites fouillés par Stein.

L'abondante bibliographie, curieusement placée au milieu de l'ouvrage (p. 1 1 6-124), tient compte de tous les travaux et de toutes les publications internationales, y compris les revues chinoises les moins faciles à trouver : l'a., numismate reconnue, appuie donc, comme à l'habitude, une méthode scientifique rigoureuse sur une connaissance des données archéologiques les plus récentes ; pour qui la connaît, pour qui connaît la qualité de ses travaux antérieurs, il n'y a là rien de surprenant. Qu'elle reçoive ici les remerciements de ses collègues pour ce travail exceptionnel.

28 Cette restriction est particulièrement gênante dans le chapitre sur les documents de Tour- fan et dans le catalogue des monnaies.

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